Sourire au cimetière

  Les fleuristes ont amassé en rangs serrés des pots de chrysanthèmes. C’est la Toussaint. Orangés, jaunes, pourpres, ces capitules aux couleurs vives nous rappellent aux cimetières, aux tombes, aux larmes qu’on y a versées. Alors on aimerait ne pas en reprendre le chemin, même les bras chargés de fleurs.

  Pourtant, il arrive qu’une visite sur un site funéraire s’impose, inscrite dans le marbre des guides. Ainsi, qui a visité la Haute Egypte, a vu les tombeaux de la vallée des Reines, des Rois, des Nobles et des ouvriers. La nécropole des chats, à Sakkarah. En France, plus modeste et plus récent, il y a le cimetière marin, à Sète, dont les allées sous un ciel bleu d’été offrent une vue magnifique sur la Méditerranée ; sans Brassens mais avec Valéry. Chateaubriand repose, lui aussi, en hauteur, sur une toute petite île de l’Atlantique. Lui rendre visite demande patience et de bonnes jambes. Les flots de touristes guettent la marée basse depuis la cité corsaire pour grimper sur le rocher du dernier voyage. Y monter au plus vite, par défi sportif. En contemplant l’océan, par communion d’esprit. En curieux n’ayant que faire des dernières volontés de l’illustre : n’entendre que la mer et le vent.

   Retour en ville, à Paris. Loin des pins et des vagues, là où les cimetières sont gris, mornes, toujours en activité. Bien que je n’apprécie pas ces lieux, on me demande, de temps à autre, de guider des étudiants américains dans les méandres du Père-Lachaise. Une corvée ! Mais nous voilà partis en file indienne sur la tombe de Jim Morrison, plus haut celle de Chopin, de Molière, plus loin d’Oscar Wilde, au fond Gertrude Stein… Une litanie de personnalités aux demeures parfois introuvables.

– Je vais vous montrer ma tombe préférée. Venez ! Avancez ! … Qui est-ce ?

 Une procession de regards se met à tourner autour du petit temple gris, en quête d’indices. Mais à chaque saison, de formidables anonymes, y déposent une pomme de terre, que dis-je, des variétés de pommes de terre ! « Merci pour les frites » a inscrit un rigolo sur un tubercule laissé près du frontispice. En juin, à l’heure où fleurissent les pommes de terre, la tombe est embellie de tiges aux pétales mauves et blancs. Au grand homme, les gourmands reconnaissants !

   J’ai découvert cette tombe, par hasard, il y a plusieurs années et je la retrouve toujours, parce qu’elle me fait sourire. Sourire dans un cimetière est un joli pied de nez au crépuscule.

Sourire au cimetière

Une réflexion sur “Sourire au cimetière

  1. Quel sourire de Grand Bé à Wadi el-Molouk (Vallée des Rois) ou Deir el-Medineh (village des artisans) sans oublier merci à M. Parmentier.

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